orphee Admin
Nombre de messages : 1820 Localisation : Champagne-Ardennes Date d'inscription : 20/08/2008
| Sujet: L'autorité a-t-elle un sexe ? Mar 26 Aoû 2008 - 19:02 | |
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- Les 23 et 24 novembre 2007, la Fnepe a réuni près de 300 participants et 32
intervenants, chercheurs et universitaires, experts de terrain et membres du réseau des écoles des parents et des éducateurs. La confrontation des chercheurs avec des praticiens de diverses disciplines avait pour ambition d’apporter des éléments de réponse à la question « L’autorité a-t-elle un sexe ? ». La nécessité d’une réflexion commune, s’appuyant sur des recherches et observations, est née d’un double constat. D’une part, l’inquiétude exprimée par les parents qui viennent dans les 48 associations, Ecoles des parents et des éducateurs - qu’il s’agisse de consultations individuelles, de groupes de paroles ou de lignes téléphoniques et forums Internet anonymes - parler des difficultés à incarner l’autorité et à la mettre en oeuvre, soucieux de ne verser ni dans le laxisme ni dans l’autoritarisme. D’autre part l’agacement ressenti d’entendre, dans de nombreux colloques, souvent déplorer « que la notion d’autorité a été mise à mal depuis mai 68 et que, tant qu’elle ne serait pas rétablie, l’éducation des enfants serait en péril » (Claire Jodry, directrice la Fnepe). La question revient à la une de l’actualité dès que s’allume le feu social et que sont invoqués pêle-mêle, le déclin de l’autorité des pères, la démission des familles, la « maternisation » de la société… Tous arguments laissant à penser que l’autorité éducative est défaillante, parce qu’elle serait d’essence masculine et que les pères et conjoints auraient perdu leur place « naturelle » auprès des enfants et des jeunes. La loi du 4 juin 1970 n’aurait fait qu’accélérer le bouleversement des repères en remplaçant la toute-puissance paternelle par l’autorité parentale partagée. Confrontés au sentiment de flou qu’ont généré les transformations de la relation éducative, nous devons cesser de leur donner un sens à l’aune des anciennes valeurs et théories. Les familles homoparentales, pluriparentales, monoparentales ou pluriculturelles en sont peut-être les plus révélatrices et invitent à renouveler notre regard sur la relation entre genre et autorité, mais la question traverse toutes les formes d’autorité éducative. Les définitions et le sens même de certaines notions comme l’autorité parentale méritent d’être reprécisés, comme nous y invite la psychanalyste Françoise Hurstel. Parler d’un partage de l’autorité parentale n’ampute pas chaque parent d’une moitié d’autorité, mais signifie bien au contraire que chacun a l’exercice de l’autorité dans son entièreté. De la même manière, plusieurs intervenants, notamment Daniel Marcelli, pédopsychiatre, Jacqueline Costa-lascoux, juriste et présidente de la Fnepe, et Stéphanie Rubi, sociologue, ont rappelé que « l’autorité n’est pas le pouvoir ». L’autorité suppose, pour s’exercer, d’être reconnue et d’être légitime, sous peine de sombrer dans l’autoritarisme. Le pouvoir, lui, peut s’exercer de façon unilatérale. L’autorité conjuguée à l’égalité homme/femme soulève un important défi : comment penser l’autorité dans une société démocratique prônant l’égalité ? La juriste et politologue Jacqueline Costa-Lascoux, présidente de la Fnepe, nous interroge, revisitant les travaux de Françoise Héritier : « Comment penser l’asymétrie liée à l’engendrement sans nécessairement la penser en termes de distribution de rôles inégalitaires ? »
Que doit mobiliser la société pour rendre plus aisément compatible l’égalité entre homme et femme et l’égalité entre père et mère, formule la sociologue Cécile Ensellem ? L’égalité est un continuum, de la contraception à la conception, chacun doit pouvoir prendre ses responsabilités à chaque étape, risquant à chaque fois de mettre l’égalité à l’épreuve. C’est pourtant ce qui fonde la notion même de projet et d’autorité parentale partagés, affirme-telle. Le regard que porte le psychanalyste Michel Tort sur l’homoparentalité permet de regarder différemment la fonction du père et de réexaminer les théories psychanalytiques. Alors qu’elles ont toujours inscrit le père dans une fonction et un rôle très symboliques, les familles où des parents de même sexe élèvent un enfant, invitent à se demander si l’autorité du père - convié aujourd’hui à être en lien plus concret, plus quotidien avec l’enfant - n’est pas « un concept obsolète » (Daniel Marcelli). De manière générale, nous sommes passés d’une société verticale, où les statuts attribuaient des rôles clairement définis, à une société plus horizontale, à l’école et dans la famille. Cette horizontalité et ce principe d’égalité homme-femme ouvrent le terrain aux négociations entre individus. Le mode d’emploi donné par une structure sociale stricte et hiérarchique a laissé place à une société d’individus supposés égaux, souple et horizontale. S’il peut être considéré comme un pas décisif vers une société plus juste, ce processus d’individualisation a parfois laissé les individus dans un grand désarroi, seuls face à euxmêmes. Qui pourrait donner un mode d’emploi de la relation dans une société où chacun semble devoir élaborer sa propre démarche ? L’une des normes éducatives contemporaines consiste à poser des limites sans imposer. Ceci génère une forme de perplexité par ceux censés la mettre en oeuvre, parents, enseignants, éducateurs, animateurs de centres de loisirs. Si hommes et femmes peuvent éprouver ce sentiment, il semble toutefois davantage ressenti par les hommes. Sachant en effet que l’espace intime, la parole, la négociation ont pris une place prépondérante dans la relation éducative d’aujourd’hui, les hommes seraient, semble-t-il, moins armés et éprouveraient des difficultés plus grandes à exercer leur autorité dans ce nouveau cadre. Que ce soit dans la famille ou à l’école, la rémanence de l’image de l’autorité sexuée empêche donc de se poser les bonnes questions : la légitimité de l’autorité, les qualités personnelles à mettre en oeuvre, les compétences relationnelles. Anne Barrère, sociologue de l’éducation, a montré, à partir de plusieurs enquêtes que, dès les premiers cours, les qualités de l’enseignant vont jouer plus que son sexe. Son propre vécu face à l’autorité peut, par exemple, permettre à l’enseignant homme de dépasser certains blocages ressentis dans la relation d’autorité aux élèves alors que les enseignantes auront tendance à imputer la même difficulté au fait qu’elles sont femmes. Bernard Pechberty l’a mis en valeur à partir de sa pratique clinique avec des enseignants dans le cadre des groupes Balint. L’ethnologue Jacques Barou interroge les rôles traditionnels, dévoilant leur construction dans des familles africaines, dans leur pays d’origine et dans leur pays d’immigration. à l’exemple de cet enfant qui, le plus naturellement du monde lorsque la maîtresse lui demande de venir avec son père, arrive avec une femme et dit : « C’est elle mon père ». « Ces ‘femmes-père’, particularité de certaines organisations familiales africaines, sont ainsi susceptibles de fournir une ressource en matière d’autorité, dans les situations de monoparentalité que peuvent créer les aléas de la vie, en particulier en émigration. Le trouble intervient lorsque ces rôles ne sont pas reconnus dans la société d’accueil. » L’exercice de l’autorité peut être fragilisé lorsqu’elle échappe aux modèles dominants de représentations et qu’elle n’est pas légitimement soutenue. En attestent les travaux de Virginie Descoutures sur les mères non statutaires, mère dans un couple de femmes homosexuelles qui n’est pas reconnue comme la mère de l’enfant. « Je suis sa mère, mais il n’est pas mon enfant », affirme-t-elle. Et qui montre leur difficulté à se positionner, non pas vis-à-vis de l’enfant, pour qui les rôles sont bien répartis, mais vis-à-vis de la société. Cette abrogation des genres et cette nouvelle répartition des rôles est matière à réinventer : l’évolution du droit en est un bon révélateur. Le droit canadien a fait un bond en la matière en judiciarisant l’ensemble des pratiques. La juriste québécoise Andréanne Malacket estime néanmoins que cette réforme s’est parfois effectuée avec trop de précipitation menant, dans certains cas, à des impasses. Dans tous les cas, un enfant peut avoir aujourd’hui deux mères légitimes, deux pères aussi. Et en Ontario, encore plus à la pointe de cette reconnaissance, un enfant peut avoir trois parents. Deux mères et un père (deux mères qui élèvent et un père qui a conçu).
Les analyses du pédopsychiatre Serge Héfez et du sociologue François de Singly se rejoignent sur l’une des fonctions majeures de l’autorité et de la relation éducative aujourd’hui : la construction identitaire de l’enfant. Pour François de Singly, la fonction d’émancipation, qui renvoie à l’épanouissement sans se réduire à cela, est l’aboutissement d’une longue construction de la relation éducative. Pour Serge Héfez, « l’autorité, c’est autoriser à grandir ». Le travail des parents consiste à « rendre l'autorité désirable »(…), « un processus protecteur et non coercitif ». Pour certaines familles immigrées, l’équilibre est difficile à trouver dans la répartition de l’autorité entre tradition et émancipation. Un accompagnement des jeunes et des parents immigrés doit tenir compte du brouillage des codes pour trouver l’équilibre entre le respect des modes de vie et l’émancipation des personnes, rappelle Jacqueline Costa-Lascoux. L’autorité n’a donc pas de sexe, puisque homme et femme, l’un et l’autre et non pas l’un plus que l’autre, contribuent à faire grandir l’enfant et à lui transmettre les conditions d’émancipation. C’est ainsi qu’au fil des échanges, la question « L’autorité a-t-elle un sexe ? » a été précisée. Plus qu’une « sexuation » de l’autorité, la relation éducative interroge plus largement la relation entre enfant et adulte, la difficulté du lien intergénérationnel, la difficulté de penser la différence dans l’égalité. Comme l’a souligné Françoise Hurstel, nous pouvons devenir des sujets dans la famille en voie de démocratisation en dialoguant, en négociant dans le couple, en faisant surgir la différence dans une relation d'égalité. Le rapport d’autorité était traditionnellement défini selon les sexes. Il serait aujourd’hui plus partagé. Dans la famille, dans la cité, à l’école, l’autorité n’aurait plus de sexe mais de multiples visages (Anne Barrère). Le cadre n’est plus d’emblée donné par le statut. Le fonctionnement du couple, de la famille, de l’école est plus difficile à vivre, car il est à inventer au quotidien, à partir de ses propres ressources, compétences et perceptions. Mais, en dépit de la réalité des pratiques, on note une distorsion avec les représentations où elle est encore marquée du sceau de l’autorité patriarcale Revue L’École des parents - N° Hors Série - Mars 2008 | |
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